Lecture et compréhension (suite)

Dessin et

interprétation 

Le fond du puits

ou la mise en mots

de son histoire

Le lendemain, Miloud, 23 ans, n'a fait que relire ce texte sur lequel il bute, "La légende des sables" et me réclame le dessin de la veille qui concernait cet autre texte, "Le puits".

Nous en étions restés à

'Tu es allé chercher quelque chose au fond de toi.'

Le blocage sur les mots, le sens qu'ils prennent dans un texte, même quand on les connait, n'est pas nouveau chez lui. Nous y avons travaillé (voir "lacher-prise") L'illustration de "La légende des sables" n'a pas permis d'aller au delà d'une sorte de décor qui ne rend pas compte du message métaphorique que transmet un dialogue imaginaire. C'est bien encore et toujours le problème de cette ouverture qu'apporte l'imaginaire... quand on l'évoque en tant que tel, sans y chercher l'adéquation au réel de ce qu'on connait, terme à terme. .

Comment arriver aux  mots pour interpréter le contenu du texte qu'il n'arrive pas à comprendre: parvenir, au delà des mots du texte, au message qu'ils nous transmettent? Ce blocage sera-t-il levé par un travail qui va chercher une signification par d'autres voies? Puisqu'une démarche de type rencontre avec un psy ne lui convient pas, nous reprenons le dessin comme support d'une projection de soi-même à partir d'un texte qui correspond à l'ici et maintenant de sa situation pour l'amener à réaliser "la permanence de l'être" dans la spécificité de son histoire personnelle, car il n'arrive pas à comprendre le pourquoi de ce qui lui arrive.Raconter les évènements ne peut lui suffire.

Je le lui présente comme il l'avait orienté, verticalement (le dessin en tête de l'article pécédent), mais nous serons amenés dans un deuxième temps à l'analyser présenté comme ci-contre, horizontalement.

Pourquoi ce dessin m'intéresse-t-il tant pour le faire parvenir à la compréhension d'un autre texte? Mon hypothèse est de lui faire réaliser le fait que le sens n'est pas attaché à une forme en tout point immuable, de même qu'il peut, lui aussi se déplacer dans un champ différent. Introduire le jeu dans la relation symbolique, celle du lien symbolique qui définit le signe linguistique.

La mise en mot du dessin réalisé à partir du texte

"le puits"

Les mots ont émergé d'un dialogue d'étayage sur deux jours dont voici quelques extraits:

Le dessin vertical (format portrait)

Est-ce que ça te fais penser à quelque chose?

- Vous allez me prendre pour un fou! J'sais pas moi. Faut avancer, c'est tout. Avancer dans la vie.

- OK ça c'est le texte d'accord, mais ce que tu as ressenti, l'impression que te fait ton dessin?

Nous passons à l'interprétation du dessin suscité par le texte.

- Les longs traits comme ça. Y-en-a 5; ça me donne envie d'aller plus loin.

- Tu l'as fait sans y penser...

- envie de me projeter loin

il sort alors de la répétition en complétant

- d'être ambitieux.

Je cherche alors à mettre en route un réseau associatif en lui demandant

- si tu regardes de plus près, qu'est-ce que ce dessin t'évoques?

- vous posez des questions compliquées...

J'essaie de l'aider:

- il faut retourner à l'intérieur de toi pour y répondre...

Le dessin horizontal (format paysage)

- Si tu le places horizontalement,  as-tu le même genre de sensations ou...

  Est-ce un autre dessin?

- non

Il retourne le dessin et le commente: avec plusieurs pauses, silences:

- Les traits i vont en bas, une sorte de courbe (il la suit du doigt), là elle monte, là elle commence à descendre...

Il l'interprète alors:

- C'est l'échec.

Il s'écarte du dessin, dans une sorte de fuite. Je réagis en interprétant son point de vue:

- Tu peux évoquer quelque chose d'autre qu'une orientation peut-être?

La fuite se confirme, il change de sujet:

- On est quel jour aujourd'hui?

Je lui signale mon interprétation en lui demandant

- tu pensais à quoi en me le demandant?

- lire... dans ma tête...

Est-ce une demande de changement d'activité, reprendre notre activité de lecture d'un livre pour les débutants ou les non-lecteurs où il s'exerce à lire par groupes de mots "Les cinq frères chinois"?

Mais je le sens tellement perturbé que je me décide, avec son accord, à lui donner ma lecture interprétative de son dessin.

- Je ne suis pas d'accord avec toi, je pense que ton dessin est ÉQUILIBRÉ. Quelle est la partie qui l'équilibre, verticalement également d'ailleurs?

Nous convenons que c'est la partie gauche en bas pour la position horizontale où il est actuellement et je lui donne la clé de l'interprétation de la projection dans l'espace de la feuille (cf. l'arbre de Kokh, Le village etc...  indication gestuelle des quatre quadrants) avec un commentaire:

  - La défaite, c'est pas du côté de l'histoire, de ton histoire...

  Il faut aller du côté de tes racines, c'est indispensable pour l'équilibre.

  Il reste silencieux, songeur...

- Tu penses comme moi? 

- Oui des barreaux

- Cela fait partie de ton histoire (la prison), tout comme ce dont nous parlons souvent. Tes racines, ta place dans la famille... il analyse sa situation actuelle, la place qu'on lui accorde, il doit gérer certains problèmes familiaux ici et maintenant en tenant compte des coutumes de là-bas, toujours là cependant:

- par rapport à mon père, mon oncle (maternel), ils ne remplissent pas leur rôle.... ils s'appuient sur moi.... ils me voient comme grande personne... et moi je suis un enfant.

Je reprends

- enfant ou grande personne? Tu es en train de grandir!  

Il poursuit et commente ce qu'il vient de dire:

- je l'avais au fond de moi

  rendre service ça me dérange pas mais quand on peut faire appel à d'autres...

Il ne le redit pas mais aurait pu car il poursuit:

  pourquoi eux n'ont pas trop changé? Ils me parlent avec fierté.

Je reviens à son "destin" tel que nous l'avions analysé (voir l'article sur "la réappropriation de la conduite narrative" : le récit du voyage au pays), Il va plus loin

- il faut m'armer pour l'affronter

  "un jour viendra" a dit ma grand-mère, il y a longtemps. Maintenant elle me regarde avec fierté.

Nous revenons à son pro-jet (dessin vertical), je souligne le fait qu'il s'agit d'un premier jet, Il le pose autrement (horizontal)

- un projet déséquilibré?

- non!

- non! donc, une autre sorte d'équilibre, toujours,

- OK

- mais d'où on part? (Il retourne au vertical)

- de l'angle (gauche), des obliques

- on a besoin de l'asseoir (zone des racines), si on coupe au milieu, ce dessin c'est avancer

 (je montre rapidement la moitié supérieure et les quadrants dans les deux orientations du dessin)

  en étant ici et là

Il reformule

- c'est la personne que je suis en étant partout

- Maintenant on relit ton texte...

Il a de quoi méditer... Il est temps pour lui de se reconstruire sur un mode cognitif comme j'avais fait avec Jimminy, de le ramener à l'ici et maintenant de sa demande.

L'analyse de ce dessin était une ouverture à la compréhension du texte que nous allons pouvoir relire "La légendes sables"...

Voir l'article suivant "Peut-on "Comprendre" une métaphore?"