Trisomie et culture musicale (suite)

Publié le par Jaz

Capture   Rythme et langage

Un nouveau titre s'est imposé pour souligner l'impact de la musique dans le rapport de jeunes enfants trisomiques au langage et à la culture.

car à la séance suivante,  Yann m'a permis d'imaginer une autre façon d'exploiter son désir de chanter pour l'aider à mettre en place sa parole.

Chanter de façon audible implique une mise en place de la parole, et dans le cursus de son acquisition du langage, il refuse l'entraînement à l'appui syllabique pour rythmer son expression orale, ce qui se manifeste par des séquences avec omission de sylabes. La parole de Juju (IMC de 3 ans présentant des traits d'autisme) est passée par cette étape également.

Cette façon de "parler"/"chanter" m'interroge également sur le rôle de la pulsion dans le rythme, pulsion interne, propre au sujet, qui dans le cas de Yann serait le moteur de son balancement, stéréotypie qui se réveille en cas de grande émotion.

Il s'est trouvé, ce jour là, que j'avais ouvert vocalab et que, pour essayer ce que donnait ma voix de "tenor" (cursus d'un rhume tombant sur la poitrine), il y avait le spectre visualisé d'une sirène affiché dans la partie thérapeute, qui permet la comparaison avec la réalisation du patient.

Ce logiciel est installé sur un portable et le réglage du micro permet de n'avoir qu'à se positionner en face de l'écran pour que ce soit standart, quand il n'est pas fondamental d'obtenir avec précision un" fondamental", une mesure stricte de l'intensité....

Alors que Yann avait déjà déniché la boite de pokémons et l'avait cachée avant que je n'arrive dans le bureau, je l'entraîne devant l'écran et lui annonce qu'on va faire un autre jeu pour qu'il puisse mieux chanter encore. Il commence par faire la grimace et transformera ma consigne de sirène. Je lui montre comment j'avais fait et il chante alors, à sa façon, "Frère Jacques". Il a accepté s'y intéresser suffisamment pour s'essayer à son tour, regardant l'effet produit sur l'écran, renouvelant l'expérience pour que cela puisse constituer la base d'une comparaison.

Avant de l'effectuer, nous avions à nouveau mêlé nos voix, comme au tout début de ses essais de voix, à 9-10 ans (il en a 17), pour essayer de lui faire réaliser la mélodie avec les syllabes manquantes. Nous avons donc repris ensemble, vu que ce n'était pas pareil que quand j'avais chanté seule.

Je lui ai pris la main pour scander ce que nous chantions jusqu'à ce qu'il s'y essaie seul avec ce contrôle visuel pour le guider. Nous essaierons encore, très certainement... à la prochaine séance.

Discussion

La discussion portera d'abord sur l'évolution de la parole de ce jeune trisomique d'un point de vue technique.

Quelle place accorder aux chansons dans la mise en place de sa parole?

S'il tente d'en reproduire les paroles, ce qui enrichit éventuellement son stock lexical, il s'appuie plus ou moins sur le rythme mais transforme la mélodie du fait de sa difficulté à tenir compte de toutes les syllabes. Ce qui rendait difficile à comprendre pour des mélodies rocks modernes est encore plus manifeste dans la chanson enfantine "frère Jacques".

Capture-hieroglyphe.PNGNous avons donc repris cette chanson, la séance suivante, après avoir visualisé "hiéroglyphe" car il en avait recopié des pages entières, fier de m'annoncer qu'il n'était plus petit, faisant allusion à l'abandon des listes de pokemons qui l'occupaient jusqu'alors.

 On peut voir dans la capture d'écran où il répétait immédiatement chaque syllabe (d'où les deux pics) du mot, le sssssssssssssss qui couvrait mon fffffffffffffffff et sa rectification à la fin de l'enregistrement. Il faudra le reprendre encore et encore, bien sûr....

Mieux prononcer "Frère Jacques" devenait pour lui, grandir, un projet en quelque sorte.

Une autre entrée sera probablement celle du rythme, marqué du pied, ou sur un tambourin peut-être.,

En effet, de lui-même, une fois, il a essayé de tapoter sur son autre main en chantant, reprenant un geste d'étayage. Il pourrait mémoriser ainsi, à court terme d'abord, le nombre de syllabes. Ce sera une étape importante car il y a toujours ce balancement prêt à revenir, comme le bruit d'arrière-nez dès qu'il se concentre.

 

La question de l'incidence de la culture dans son développement langagier ne peut concerner qu'une culture d'oral, car il ne sait pas lire, même s'il identifie les lettres pour les taper sur le clavier ou les recopier.

Il retient donc d'oreille ce qui lui plait et tente de le restituer avec l'ambition de ressembler à ces jeunes qu'on voit à la télé.

Cela avait déjà été son mode d'entrée dans le langage. Il a un ordinatuer à sa disposition et se débrouille parfaitement pour y trouver ce qui représente la culture de beaucoup de jeunes aujourd'hui.

Pour lui, tout comme pour Artus, la musique est, parmi les médias, celui qui lui permet le mieux d'être intégré socialement, et d'échanger avec ses pairs.


Publié dans Musique

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