Tirer à l'arc: le prendre pour viser une cible

Publié le par Jaz

Aynaarbre

Adolescente...
Comment faire sans projet?

 

Anya est une adolescente en grande difficultés: on n'a aucune prise sur elle, elle n'a pas grandi dans sa tête et continue à fonctionner sur le mode de "je n'aime pas", dans l'instant ...


Sa maman a projeté sur elle tout ce que sa vie d'exilée politique ne lui a pas permis de réaliser sur le plan professionnel... Son père est parti à sa naissance... Il y a des gênes d'artiste dans la famille et surtout aucun cadre qui puisse contenir, guider... Trop ou trop peu d'exigence...

 

Elle a réalisé le dessin ci-contre à 13 ans, en 5e. L'arbre est dans le coin inférieur de la feuille (format paysage), tout le reste est blanc, vide (coupé dans le cadrage). Elle a réalisé un "village" (voir le lien sur le site en fin d'article "matériel") complètement refermé sur lui-même, se situant au centre, narcissisme sans ouverture possible, ni recherche de socialisation...

 

Une histoire difficile certes

 

Pour l'essentiel (le détail se trouve en fin d'article), elle a grandi sans père,  sans repère au niveau des générations non plus, et ne s'est jamais investie dans les apprentissages scolaires. J'ai arrêté une première prise en charge quand le relai a été assuré par une psy. Je l'ai revue 3 ans plus tard, alors que, à presque 18 ans, elle était en voie de déscolarisation totale.

Elle était plus que jamais un objet de chantage entre père et mère, qui se la renvoyaient l'un à l'autre lorsque son père a bien voulu la revoir. Elle n'était allée chez la psy que par intermittence et n'y allait plus du tout lorsque sa mère m'a appelée au secours.

 

Mais tout n'est peut-être pas perdu...

 

Je lui propose la métaphore du tireur à l'arc dont Max vient de me faire cadeau. Un tireur et un arc à côté. Que faut-il pour que ce soit un tireur à l'arc? Elle dit d'entrée de jeu: une cible. Je dis alors que cela n'en fait toujours pas un tireur. Elle complète sa représentation, une flèche. Je précise qu'elle est en place sur l'arc. Elle s'engage alors en disant viser. Je rappelle que l'arc est "à côté" du tireur. Non sans peine elle finit par trouver "le prendre"!!!

 

Cet échange se situe au moment où elle est retournée à ses cours, répondant à une convocation à des examens. Anya est épuisée d'avoir révisé, et d'avoir réussi certaines des épreuves à l'étonnement de son professeur de français. Elle en a raté également bien sûr. Dans sa classe (CAP de serveuse), 5 élèves étaient déscolarisées, elle est la seule à être revenue.

 

Je ne peux arrêter maintenant alors qu'elle n'a plus la CMU (elle ne peut joindre son père et sa mère ne l'a plus). Ce n'est pas du soutien scolaire que de l'aider à assurer cette "prise en main" d'elle-même qui semble se produire. Elle a besoin d'un tuteur qui, dans un premier temps, s'adapte à son fonctionnement pour l'aider à en sortir.

 

Nous avions beaucoup parlé de cible, nous avions travaillé sur l'arc et la flèche en analysant le type de fautes qu'elle faisait dans un texte écrit, revu ce qu'elle savait à ce sujet, retrouvé la capacité de se concentrer, tenté de dissocier l'affectif du cognitif dans son approche relationnelle du scolaire, mais si elle est bien là, avec son immaturité de petite fille, il lui restait à réaliser que chez elle aussi, comme pour Max, l'arc était à côté de la personne qui voulait tirer avec.

Lorsqu'elle a "trouvé" qu'il fallait le prendre, elle a eu la réaction physique qui me permet de repérer l'investissement émotionnel: elle s'est penchée un peu sur le côté, l'a prononcé d'une autre voix, un peu soufflée, très vite, comme si cela lui échappait en quelque sorte. Elle est redevenue elle-même, tout de suite redressée...

 

Le coup de coeur du jour:

 

Le fil relationnel est si ténu, je ne supporterais pas de la lâcher par éthique personnelle, même si la déontologie d'une orthophoniste ne prévoit pas de tels "hors cadre".

 

 NOTES

Quelques points critiques de son histoire.

   

Elle a été élevée comme si elle était la grande soeur de son neveu, fils de sa soeur, artiste, sans le repère des générations. Ce garçon, que j'ai suivi jusqu'à ce que sa mère stabilise sa vie et déménage, a eu le plus grand mal à entrer dans les apprentissages (voir Illis Problématique "dys" et "Figure de Rey" sur le site).  

Anya avait, elle aussi, été suivie en orthophonie pour apprendre à lire, mais elle a très vite arrêté la prise en charge psy qui a suivi au CMPP, pour répondre à son absence d'implication dans les apprentissages scolaires et le problème lié à l'absence de relation à son père.

 

Elle est entrée au collège mais la maman a refusé la SEGPA, la voyant "médecin" en dehors de toute prise en compte de la réalité. Anya était ainsi complètement larguée au niveau scolaire et en conflit permanent avec sa mère sur son emploi du temps et ses absences non justifiées, les modalités de ses sorties avec des copines, leur vie en commun.

La démotivation scolaire n'a fait que se confirmer et je me suis efforcée, en dehors d'un travail technique sur des difficultés en lecture et orthographe, concentration, raisonnement etc. , de l'amener à reprendre avec une "psy" pour pouvoir arrêter... elle oubliait tout le temps...

 

Pour quelle prise en charge?

 

Un bilan dans un service hospitalier aurait révélé (il y a quelques mois) un QI de 75 (que je suppose hétérogène) qui a paniqué la mère mais ne l'a pas rendue plus réaliste pour autant, continuant à projeter dans sa fille ses rêves déçus, Elle m'a appelée au secours et j'ai repris Anya qui ne voyait sa "psy" que épisodiquement, oubliant les rendez-vous, tout comme elle pouvait oublier les miens. Compte tenu de mon implication dans ma relation à cette famille, j'ai fini par la relancer sur son portable ces derniers temps, lorsque son père lui a fait miroiter de quitter sa mère, l'achetant par des cadeaux alors qu'il est devenu injoignable la semaine suivante.

Ce n'est plus de l'orthophonie au sens propre, bien qu'elle ait une demande sur l'orthographe, mais un lieu d'écoute et de parole pour analyser le concret, la réalité de ce qui se passe, encourager un réinvestissement du scolaire, prendre un nouveau rendez-vous avec la psy, rechercher des centres de formation aux métiers de la petite enfance (ce qu'elle a envie de faire), pas trop loin, en définissant les critères acceptables par ses parents, publics (non payant), pas trop loin, dans un environnement pas trop dangereux etc. au cas où on voudrait bien la prendre malgré ses échecs...

C'est à ce moment qu'est arrivée la métaphore.

Publié dans parents et enfants

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