Estime de soi au regard de l'autre

Publié le par Jaz

MilFle2-copie.jpg Vous devez me prendre

 

pour un fou madame!

 

Quelle séance!

[Cela fait un mois et demi que nous n'avions pu réussir à trouver un créneau pour nous voir. Déjà auparavant il était parti plus d'un mois au pays pour régler la succession de son grand-père et cette expérience lui avait permis de comprendre le comportement des "adultes", perdre sa naïveté d'enfant. Il est devenu "lucide". Nous avions du travailler encore et toujours sur l'estime de soi.

Il revient enfin début août, entre deux "interim" avec une demande très forte, d'accord pour reprendre à la base. Nous ne reprendrons donc pas le travail en lecture verticale qui l'avait aidé à combiner l'entrée son/lettre pour s'appuyer sur les syllabes et arriver au mot, et qui avait été suivi de la première flèche, en réponse à la question "écrire c'est quoi pour toi?].

Je lui propose une fiche (Motus 46) de phrases à compléter qui vise le travail des habiletés phonologiques, lexicales et orthographiques.

Lui qui n'arrive jamais à trouver les mots pour écrire, la consigne porte sur "trouver un mot qui rime. La phrase doit avoir du sens"...

Comment va-t-il s'y prendre? Il lui faudra deux séances.

La première séance nous travaillons à comprendre la consigne. Il a cru la comprendre. Il me demande de l'aider car, en fait, il ne peut répondre faute de voir la situation évoquée: qui parle? et de quoi? dans une sorte de monologue intérieur. En effet il déchiffre encore les mots et bute sur ses paralexies que nous explorons ensembles. Elles sont bien caractéristiques du fonctionnement associatif des dyslexiques.

Un exemple me semble particulièrement représentatif de ses difficultés et de son niveau de conscience qu'entraîne leur contexte. 'J'ai même', devient "j'aime".

Il essaie de passer par la syllabation mais bute sur 'même' qu'il ne peut isoler, parasité par le sens qu'il a inventé (ême = aime). Il le commente:

"Dès qu'il y a "je", à ma sauce. Il camoufle toutes les autres"

'Y manger' devient "imaginer". La lettre 'j' a bien déclenché une "invention"

Comme pour 'même', il est prisonnier de ses associations sur les lettres ou le sens de certains mots "cahier", "vacances", et pour trouver 'quelle' "chance" je dois évoquer le bus qui arrive enfin qu'est-ce que tu dirais d'autre que "chic alors!".

Il relit tout et finit par trouver le mot "chance", semblant comprendre enfin, dans le balancement que permet cette re-lecture, la rime que je lui signale.

Nous re-parlons donc "lecture" pour qu'il essaie de photographier tous ces mots qui appartiennent à "sa" langue, la langue parlée, car il se contente de les "regarder".

Nous avions pourtant travaillé, il y a 3-4 ans, à mémoriser un certain lexique de base, mais il n'était pas revenu pendant longtemps et cette piste n'a pu être reprise.

Il manque totalement d'assurance pour écrire les mots...

quand il réussit à en trouver un qui corresponde à la consigne: pour camping, il aurait mis un m pour la règle.

Cependant, s'il n'y arrive pas, il est heureux d'avoir "repéré ce qui le fait - bugger-".

Dès le niveau phonologique: toujours la lettre e/é, et fait une telle fixation sur cette paire phonologique qu'il ne peut en rechercher les variantes graphiques ou les différencier en lisant. Le "j(e)" renvoie à lui-même et bloque d'autres évocations de mots. Et bien sûr, il voudrait ne plus bugger.

Chaque mot à trouver est le support d'un travail.

- Le choix du mot pertinent.

Plutôt que jambon je l'amène à trouver "mouton", bien que la rime ne soit pas aussi bonne.

- Les différents niveaux impliqués pour l'écrire.

il a trouvé "efforts" : correspondance graphophonémique pour "eff" (niveau phonologique) / passage par "fort", mis au féminin pour trouver la terminaison (niveau lexical) et le "s" de l'accord du pluriel que je qualifie d'orthographe.

- La portée des explications orales est limitée

car quand il l'écrit il ne met qu'un "f" et ajoute un "e" sans mettre le "s" tant que je n'ai pas rappelé qu'il y a une question à se poser pour l'orthographe et qu'il trouve "plusieurs"

La séance a donc servi à préciser la compréhension de la consigne en lien avec les mots qui la constituent et qu'il croyait avoir compris.

Nous finissons sur la rime "ance" de chance pour vacances, malgré les variations orthographiques qui. le gênent car il a encore du mal à se référer au son.

Il est encore prisonnier de son premier apprentissage de l'écrit fondé, comme pour les autres non-lecteurs, sur la lettre, lieu de résistance de son apprentissage au lieu d'en être l'outil. .

 

A la séance suivante, après le W-E, celle du coup de coeur qui a motivé cet article, il fait le point sur son auto-analyse (métacognition?). Il définit ainsi, dès son arrivée,  ce qu'il a appelé "bugger") avant d'explorer le processus:

"Quand ça commence à trop chauffer dans ma tête, ça mélange tout.

C'est quoi qui me pose problème?

- j'ai les explications

- mais j'arrive pas à trouver les solutions"

Qu'est-ce que tu entends par solution?

-résoudre un problème.

Et nous voilà à nouveau dans la situation du serpent qui se mord la queue!!!. Veut-il parler de connaître les règles mais de ne pas réussir à les appliquer? Il poursuit et je le relance:

"Mais comment j'arrive à... voir les problèmes"

-Voir? "Y a six mois j'avais du mal à cibler la chose qui me posait problème"

-problème? "à mettre des mot sur ce que je ressentais"

Je recadre: Je lui demande "un" ou "le" problème? résoudre un problème, le problème que tu as?

C'est alors qu'il me dit:

"Vous devez me prendre pour un fou, madame"

Ce n'est pas la première fois que le terme de folie est évoqué, quand il parle d'autres que lui, se comparant à eux, et qu'il se retrouve face à son incompétence face à l'écrit.

Je lui avais proposé de faire un mot éclaté avec "problème" et me suis saisie d'une grande feuille pour l'écrire mais cela ne l'intéresse plus, il est sur la voie de comprendre et, pour l'aider à retrouver sa confiance en lui je l'incite à se  rappeler -le chemin que tu as fait-.

"Je n'arrivais pas à lire, même avec un petit mot.

Je vais à tout petits pas: les mots, le courrier, je le relis plusieurs fois. Je vois les problèmes.

Pour moi c'est fou.".

Les problèmes? J'imagine qu'Il doit évoquer tout ce qui lui passe par la tête face aux mots dont des règles, qui se mélangent très vite lorsqu'il doit choisir pour avancer, ce qui se traduit par son hyperconscience des fautes à ne pas faire.

Sa demande actuelle concerne écrire. Nous revenons donc à l'exercice avec cette consigne (une fois de plus): "tu écris comme ça vient et, après, tu fais de l'orthographe (e? s?)". Je vais lui chercher une gomme toute neuve.

1ère phrase: il trouve "bien" (il sait l'écrire). Je lui fait remarquer que c'est un morceau de Fabien.

La deuixième phrase qu'il doit compléter le fait réactualiser la consigne: "rimer". Je complète: "mettre du sens", il ajoute "ça sonne bien", est-ce pour rimer ou le sens? : pour devoirs, il trouve on peut se voir tous les jours. Il relit tout et je récise: "à quel moment?" il réalise qu'il faut choisir "soirs".je dois réactualiser le pluriel.

La suite va montrer que c'est ou l'un ou l'autre en fait: il la reformule en mettant l'accent sur le sens lorsqu'il transforme l'énoncé en se l'appliquant en quelque sorte.

Moi je suis meilleur que lui en français mais pas aussi bon que lui en ? devient: Je suis moins bon que lui en français, meilleur que lui en maths." Je retrouve le mode de raisonnement qu'ils ont tous!...

Il me réclame "un petit truc pour trouver" et pour lui permettre de se décentrer,

je lui demande ce qu'on apprend au collège, il efface maths et écrit "anglais" avec é. Il n'a pas eu l'idée de regarder comment c'était écrit pour français, ce que je lui fais remarquer.

Je fais le point sur la démarche: il faut que tu fasses bouger les mots... Je rappelle

- syllabe par syllabe, c'est pour ce que tu entends

- orthographe: faire bouger, comparer etc...

L'exemple suivant comporte trois lignes. Nous arrivons à la prise de conscience d'un effet textuel. Il est perdu d'autant plus qu'il commence par lire: "il fait" pour -'il faut' dire- ce qui entraine un blocage. La référence aux parents, vivre ailleurs semble réveiller des association personnelles car il commente:

"Il y a quelque temps j'aurais pleuré".

Quand il avait voulu tout finir seul, il butait sur cette phrase et je lui avais pourtant conseillé de la sauter.

Mais il ne comprenait pas non plus pour la dernière. Je lui propose:

- Lire jusqu'au point,

- relire depuis le début.... C'est une histoire, rappelle-toi le travail qu'on a fait pour que tu racontes ton voyage au Bled. Il y a une continuité dans l'histoire, cela va t'aider.

- et enfin, replace le dans une situation de vie à toi.

Il insiste sur le fait d'avoir à se concentrer pour y arriver. Il choisit de lire à haute voix, mot à mot et me questionne inquiet: "vous n'avez rien compris?" conscient du travail réalisé sur d'autres textes pour lire autrement.

Comme souvent il fait à nouveau le point en fin de séance:

"Avant j'avais du mal à lire un mot, surtout pour les courriers, il fallait que je recommence plusieurs fois. Maintenant j'arrive à m'exprimer, à résoudre le problème".

Je le relance "de quoi?, de qui?"

"Je commence à avoir une petite idée." et ajoute:

"Pourquoi vous retournez la question?"

"On en reparlera demain. Du miroir de l'autre"

"Je repense à tous les dessins que j'ai faits avec la flèche:

elle partait, revenait en arrière, repartait.. dans le dernier (en tête d'article) elle montait."

Il avait dit alors: "vous n'avez pas tort, je ne sais pas où je vais mais je commence à voir un peu plus clair. je sais que j'arrive "petit""

Et il veut écrire sur cette dernière le résumé de la question:

"doucement mais suremet"

même si après avoir cherché comment l'écrire sans faute: syllabes épelées, décomposition recomposition en cherchant des mots qu'il connait pour choisir dans les variations: comment tu écrirais la fin de douce, oui c'est ça, quel ent?, lequel il faut chosir sur le carnet pour 'mais' qu'il écrit habituellement mes, rappelle-toi la composition, on prend le féminin, tu as déjà écrit ment... il va oublier le n de sûrement quand il va passer à écrire seul sans mon regard.

Son problème serait donc en bonne voie de résolution, s'il peut revenir avant des lustres. S'il a encore les stratégies de DL pour lire mal, s'il est encore parasité par ses associations personnelles, si le chemin est encore long pour écrire, les résistances s'effacent  et le rappel de sa flèche lui donne bien le mot de la fin! 

 

 

 

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