Amorce de l'autonomisation pour Yann Trisomique

Publié le par Jaz

Le solitaire

Le solitaire

Le solitaire

Ce jour là nous n'avons pas suivi les routines. Pendant que nous parlons avec sa mère en prenant le café dans le living, il joue au solitaire dont je viens de lui expliquer les règles. Comment les lui faire comprendre d'ailleurs ?
Il connait le jeu de dames donc le principe. Cela me permet de passer directement à la  phase démonstration une fois seule, puis avec lui. J'espère que son désir de réussir l'encouragera à élaborer des stratégies... En tout cas il s'y applique. Nous le reprendrons plus tard et je suggère à sa mère d'en rechercher un chez elle. Il est mûr pour s'y atteler...

Et j'espère bien sûr que cela lui fera quitter un peu l'ordinateur car il est bien de son époque...

Nous partons tous les deux vers notre salle de travail car il est impatient de me montrer son nouveau jeu et je voudrais qu'on parle de ses vacances en famille puisqu'il a perdu dans le voyage quand il est allé en colonie son téléphone et son appareil photo. Je me propose de tester ainsi sa mémoire et sa capacité de réaliser un récit. Ce projet se réalisera-t-il?

Après la grille constituer le lexique

Après la grille constituer le lexique

Le dialogue initial

Il s'assoit et je commence en situant notre propos. Va-t-il se repérer dans le temps? 

"Ces vacances ? "

- moi j'étais en colonie

- et avant ?

- montagne

- non avant? (car il répond pour la colonie)

Pendant ce temps il a sorti le jeu où il excelle "Puissance 4". Je ne suis pas d'accord et situe espace et partenaires :

"Non, je n'en veux pas, c'est à la maison avec maman."

Cette dernière est arrivée et nous confirme la motivation de son fils à le choisir comme activité : il gagne tout le temps. Quant à moi je sais d'avance que je serai encore plus nulle qu'elle, tout comme aux échecs, jeu de go et tant d'autres jeux... Peut-être qu'un jour je demanderai à Yann de m'apprendre à y jouer, mais il y a toujours tant d'autres choses à faire.

La boite de mots croisés

Cette boite est un nouveau support, jeu très ancien (vide-grenier), que nous avons déjà exploré en nous en tenant à remplir les cases (article non paru à ce jour sur jazblogtest, "Yann et le futur", le lien viendra plus tard).

Sa mère choisit la planche en fonction de ce qu'elle pense qu'il doit connaître. Il n'y a pas de page de solutions comme dans les livrets que nous utilisons d'habitude. Il faudra l'aider... Il veut que ce soit moi et non sa mère qui réagit toujours au quart de tour et ne lui laisse pas le temps d'essayer seul de trouver ou qui ne réussit pas souvent à le mettre sur la voie sans le lui donner à répéter...

Une première image

Il nomme l'image

- poisson

en sortant les cartons P I comme lettres. Je lui précise "c'est une sorte de poisson" et je lui fais répéter "car-pe".

Il range les 2 lettres, sort le A puis le C. Il le met en place. "Tu veux qu'on répète le mot?" Sa mère et moi le disons ensemble. Il prononce à è (pour R), sort le R avec I, je refuse ce dernier, j'insiste sur p (avec le geste) en répétant le mot pour le P et lui demande ensuite "qu'est-ce qui manque au bout?" pour le E.

Hypothèses :
Tout s'est passé comme si le premier mot associé à l'image restait présent avec le I nécessaire à l'écriture de oi. Il reste dépendant de sa première évocation de mot. Conflit à résoudre peut-être?
Il refuse l'étayage maternel qui ne s'adapte pas à son rythme et à sa forme de pensée comme peut le faire un étayage thérapeutique. cf. Vygotski La zone proximale de développement.

"Le changement de point de vue sur la façon de réaliser la tâche s'effectue dans le jeu des représentations des partenaires de l'échange interactif". (2003)

C'est pourquoi je présente le corpus de l'échange pour exposer le support de ce qui motive ma propre démarche d'étayage. Ses choix de lettres, leur ordre, ce que je dois faire pour qu'il entende et choisisse l'une ou l'autre sont autant d'informations sur l'évolution de ses stratégies qui lui permettront un jour de lire seul et d'écrire, du moins je l'espère.

P. 5 du poster Psy & SNC de 2003

Une deuxième image

"Qu'est-ce que tu veux mettre comme mot? On t'aide un peu."

mère "C'est quoi ça ?"

- Pomme

moi "j'crois pas... si".

Yann sort P M M E puis trouve le O

- C'est ça. Oh là là Je trop fort.

La troisième image

- Blé

Explication sur épi de blé, de maïs. Cherche les lettres I P E. Je lui rappelle que le E peut être dit é. et ajoute :

"Il faut écouter le mot".

- J'suis bête hein moi !

Sa mère lui explique alors que le mot qu'il connait "pie" est différent. "Dans le jardin un oiseau noir qui siffle".

Le travail se poursuit pour les autres mots, en lui imposant l'utilisation du tableau des lettres pour faire les sons... etc. en particulier la révision des consonnes.

Je décide que plutôt que de refaire une autre grille, on va voir ce qu'il en reste. Je la cache et lui donne une feuille blanche et un crayon avec la consigne "tu te souviens de quoi ?"

 

Évocation du mot avec son référent (image)

Évocation du mot avec son référent (image)

Évocation écrit/figuration

Yann est donc libre soit d'écrire, soit de dessiner... Il choisit la liste de mots et ce n'est que secondairement, à ma demande qu'il fera les dessins qui figurent ci-dessus. Je lui demande alors de les réunir comme on faisait dans le temps, il ne manifeste aucune opposition mais semble content de réaliser l'exercice.

Lorsqu'il arrive à carpe, il le prononce en même temps qu'il l'écrit. Le travail a porté ses fruits alors qu'il recherche toujours certains son à partir de la prononciation de la lettre,  pé en particulier, de même pour le R qui reste "è" quand il veut écrire ce qui renforce l'omission qu'il en fait le plus souvent dans sa parole.

Parole et écriture

Pourquoi parler d'une amorce d'autonomisation ?
Il ne s'agit pas cette fois de son comportement en général pas toujours adapté mais de celui qu'il a face à une tâche qui mobilise une énorme concentration : changer le mot qu'il voudrait écrire, chercher les composantes des syllabes, respecter l'ordre des lettres quand il n'est pas sûr de réaliser le mot oralement dans son intégralité du fait de son retard de parole aggravé de son agrammatisme.
Il lui faut également changer sa stratégie d'épellation des lettres, mise en place dans son apprentissage malgré une initiation différente au départ que j'ai tenté d'imposer en vain, pour celles des sons des lettres comme il le fait spontanément ce jour pour le mot carpe.
Il lui faut également ne pas partir dans un autre mot parce qu'il le connait etc...

Son langage reste très simplifié hors quelques "figements" qui intègrent des éléments grammaticaux par exemple. Les composants de ces figements doivent pouvoir s'autonomiser, il doit pouvoir les intégrer dans d'autres énoncés... Le chemin sera long, il ne fait qu'y entrer.

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