Etayage: qui mène la danse?

Publié le par Jaz

De la capoeira à un auto apprentissage musical
De la capoeira à un auto apprentissage musical

De la capoeira à un auto apprentissage musical

Quoi de neuf? Demande l'orthophoniste. Tu as des vacances?

Yann, trisomique de 20 ans, qui travaille depuis peu dans une SAS, ne peut répondre bien sûr, mais sa mère qui s'assoit également désire m'en parler. Elle va demander 3 jours pour qu'ils puissent partir en famille au moment de la Toussaint. Les rencontres précédentes, nous avions travaillé à poser certaines règles de comportement dans ce nouveau cadre d'adultes au travail, l'aider à grandir puisqu'il se comportait comme un enfant et je veux m'assurer qu'il ne rencontre pas d'autres difficultés puisque la semaine précédente il avait même pu me faire comprendre ce qu'il faisait dans notre tête à tête en le mimant (remplir des sachets).

Ce jour là, sa mère est là et nous analysons le changement dans sa vie "d'adulte" au niveau des vacances, il ira certes en colo, mais il y aura moins de vacances en famille. Je lui propose cette définition : "les vacances c'est quand je ne vais pas au travail comme tous les jours".

Sa mère poursuit : il a apporté quelque chose. Dans ce qu'ils font, il aime bien la couture. Il ne peut trouver les mots pour en parler. Je propose "dessine le et on trouvera le mot". Il est très réticent mais finit par jeter un dessin sur une grande feuille. Je dis cela ressemble à un sachet et lui demande ce que c'est que le trait qu'il a fait: "c'est quoi ?" La mère répond "un ruban". Je demande ce qu'on fait avec. Il ne peut répondre. Je retiens sa mère de l'aider à le dire. Je me déplace vers la porte de la pièce et en la manipulant, j'essaie de lui faire trouver le mot "fermer". En revenant je prends une boite et nous travaillons de même la paire ouvert/fermé. Puis je vais chercher un petit sac qui contient un sachet de lavande dans une autre pièce et il me confirme que c'est aussi ce qu'il avait fait. Je l'ouvre et le ferme... Il n'est pas coopérant. Quand je lui demande la couleur, il dit cependant "volette".

Je l'avais vraiment poussé dans ses derniers retranchements pour qu'il suive mes demandes lui arrachant le dessin puis ouvert/fermé (en répétition). Il tousse (il est enrhumé, malade même) et va vers le vélo d'appartement qui est le lieu où il se récupère maintenant (avant qu'il y soit c'était le gros ballon d'équilibre qui permet d'établir une distance sur un fond d'activité motrice).

Il ne veut toujours pas parler, même sur le vélo mais il va finir par nous faire comprendre qu'il voudrait aller au restaurant et au cinéma en le baragouinant. Sa mère m'explique alors en riant qu'elle s'est accordée une soirée "filles" et qu'il en a été très frustré ! Il prend alors le xylophone et revient s'asseoir à sa place.

De lui-même, il lit le nom des notes (voir cadre et langage), écrit RE FA LA MI sur la feuille du dessin du sachet et les joue. Je le lance dans la recherche de la différence de hauteur. Cela vient petit à petit mais il reste opposant. Il chante en jouant, il invente. Je lui dis n'avoir rien compris sauf papa, maman et toi. En chantant il se balance d'avant en arrière (cf. sa "stéréotypie") mais un peu. Il a besoin du mouvement, d'un rythme...

Je l'explique à sa mère et elle me parle alors de la Capoeira où elle a réussi à l'nscrire. Elle avait prévenu le prof, mais il n'avait pas du réaliser le type de handicap... Elle assiste aux cours de 2 heures et me raconte qu'il parle beaucoup, fait ce qu'il peut, décalé, change de partenaire, commente sans cesse et  parle aux autres, "ah c'est super", qui répondent 'non c'est pas comme ça', en un mot il pourrait déranger. Mais le groupe l'accepte comme il est, semble-t-il, et il s'en débrouille à sa façon même si elle lui fait la leçon avant de l'amener...

Elle me propose alors son hypothèse concernant sa meilleure maîtrise de ces balancements... Au début de chaque séance, il y a un rituel de base et après seulement les mouvements s'enchaînent. Du coup son balancement s'arrête un temps. Je lui suggère de prendre des photos de cet échauffement. Cela pourra servir de support pour un travail de "langage" et lui donner les mots pour "dire".

Pendant que nous parlons, Yann se met à écrire le nom des notes qu'il joue: ré fa, ré sol, ré fa la, la fa ré, mi . Il joue avec toutes ces notes qu'il a nommées par écrit.

Nous passons sur l'ordinateur et je lui mets le piano midi sur l'écran. Il joue avec la souris. Le nom des notes s'affiche:

"moi écrire tout ça" et il prend une nouvelle feuille (il veut la garder) "non c'est pour moi".

Quand il s'en va, il essaie d'ouvrir la porte de M. "salut crapule, réveille, matin (M*), ça pas crapule!"

 

DISCUSSION

Le premier thème s'impose, les vacances approchent. Comme toujours, nous "travaillons" à la mise en mots et en "sens" de ce que peut représenter ce thème dans son "monde". Mère et orthophoniste se renvoient la balle. Il ne participe pas. Serait-il contrarié?

Cela se confirme lorsque sa mère évoque son travail à partir d'un objet qu'il a fabriqué. Il ne peut le nommer, et n'a aucun plaisir à le dessiner, ce qu'il fait volontiers d'habitude. Le travail de langage du jour va porter sur l'opposition ouvrir/fermer. Je demande à sa mère de ne pas s'en mêler, elle reste pédagogue et lui propose un mot à répéter. Les verbes d'action précèdent les participes (adjectifs) ou les prépositions, d'où la forme infinitive, même si elle se conjugue en parole dans la description de l'action qu'on réalise en le disant. L'action est réalisée sur différents objets. Nous comparons son dessin au sachet que j'apporte. Il répète à contre-coeur, mais veut bien dire la couleur du ruban qu'il n'a su nommer.

Sa mère parle pour lui en précisant qu'il aime bien la couture.

Son opposition à ce genre de travail se marque alors, en dehors même de son refus de parler et de son attitude, par la distance qu'il établit en changeant d'espace. Il quitte celui du travail du langage (la table) et va sur le vélo à proximité des jouets musicaux. Effectivement c'est là qu'il va trouver comment faire comprendre ce qui, ce jour là, le "fâche" avec un énoncé à sa façon que sa mère décripte.

Du fait de cette interprétation, il revient avec le xylophone des dernières séances (les notes avaient leur sens d'écrit depuis une séance antérieure où, ayant retourné le papier où il dessinait, il avait vu une page de partition, ce qui m'avait amenée à lui dessiner une double gamme en clé de sol avec le nom écrit à côté). Je saisis cette occasion de reprendre la main pour un travail perceptif (hauteur) et de lecture: il veut bien lire les syllabes en lien avec son intérêt du moment.

Il s'évade de ce travail en "composant" air et paroles, le balancement réapparait, mais peu, ce qui nous amène à en discuter en sa présence. Pour mieux l'exploiter, s'il y a des photos, il pourra "raconter" comme on l'a fait pour la colo.

Il reprend la main du "travail" en contruisant lui-même des intervalles (cf. hauteur) et éprouve un immense plaisir à "écrire" le nom des notes qu'il joue.

Changement de lieu à nouveau, mais d'appropriation en quelque sorte : il transfère cette activité sur le piano de l'ordinateur. Il veut écrire "pour lui". Une "maîtrise" d'apprentissage en vue ?

En partant, dans le couloir, il marque un temps d'arrêt devant la porte d'un espace "privé", faisant le lien ainsi avec les séances précédentes où nous avions posé règles et interdits.

Le dernier énoncé sera sûrement repris sur le plan du langage, car il a déjà fallu une fois pointer que on ne parle pas ainsi à un adulte mais entre copains. Chaque porte en ouvre une autre !

 

 

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